À nous Paris ! ( Affiches - fin 2000)

Pour prévenir les critiques sur la façon différente dont sont traités hommes et femmes, la publicité sexiste utilise le stratagème de la symétrie :
Un visuel (affiche, pub télé...) sexiste, c'est-à-dire offrant une représentation féminine dégradante, est doublé d'un autre, symétrique et apparemment semblable, avec un homme dans la même situation. La duperie étant l'un des fondements de la démarche publicitaire, ce prétendu égalitarisme se révèle pour ce qu'il est : un parallélisme truqué et une mystification.

Un exemple : la campagne de décembre 2000-janvier 2001 pour le magazine À nous Paris, diffusé dans le métro parisien.

1. version féminine
La scène se passe dans la rue près d'une sortie de métro. Une jeune femme mimi-bcbg-en-tailleur-talons-hauts colle l'oreille au sol, que ses longs cheveux balaient, dans une position, celle du Sioux de notre enfance, que sa tenue rend acrobatique et précaire. Sourcils froncés, elle écoute ce qui se passe sous le sol : façon de dire "À nous le métro" comme le journal dit "À nous Paris". Le monde du dessous (ou des dessous, on joue sur le double sens), c'est Paris. Slogan en gros caractères sur l'affiche : "Les bons plans viennent d'en dessous" (jeu de mots : un bon plan et un plan Q ; dessous de la ville et dessous féminins).
Autres personnages : un touriste Jaune, muni de deux appareils photo (donc un Japonais, bonjour le cliché !), se trouve quelques mètres derrière la femme au sol. Se plaçant dans l'axe de l'ouverture de la jupe et se baissant un peu pour être à la bonne hauteur, il prend une photo. Enfin, un peu flou, un livreur, à scooter, s'est arrêté pour observer le spectacle avec des jumelles ! Ce détail souligne l'action du Japonais. En effet, comme le livreur se trouve à environ dix mètres de la scène, ses jumelles ne peuvent que lui servir à isoler un détail de la femme au sol. Comme il est situé dans un axe très proche de celui du photographe, il est clair que le détail est les dessous de la femme !
À l'arrière-plan, à côté du Japonais : un chien, qu'on ne voit pas immédiatement ; en revanche, on voit très bien la laisse au poignet de la femme, et c'est en la remontant qu'on aperçoit le chien : cela donne l'impression que les rôles entre chien et maître sont inversés, et ce d'autant plus que la femme est à quatre pattes, quasiment nez au sol, comme une chienne, tandis que le chien aux côtés du Japonais accède ainsi au statut de sujet humain, voire - comme le Japonais - de maître de la situation et donc de maître de sa maîtresse (avec toute l'ambivalence de ce mot) !

2. version masculine
La situation semble analogue : à la même sortie de métro, un jeune homme allongé par terre dans la position du Sioux écoute lui aussi la "metro vibration", la main à l'oreille près du sol. Mais ce jeune homme est un surfeur de macadam : c'est un skater (il a une planche à roulettes) et on voit un autre garçon chaussé de rollers le survoler d'un bond ; il porte des vêtements amples (un sweat-shirt orangé) appropriés à sa pratique sportive, ce qui facilite ses mouvements au sol. Il a laissé tomber son balladeur pour mieux écouter les sons du dessous. Il est à l'aise dans son corps et il est présenté comme naturel à la fois dans cette tenue et dans cette situation.
Si l'on revient à la jeune femme, l'inconfort de sa situation n'en paraît que plus évident : elle fait pitié, avec son tailleur et ses talons hauts si peu pratiques. Ce n'est manifestement pas à cause d'un sport qu'elle se trouve au sol, avec son sac par terre, son foulard en soie essuyant le sol ; elle a dû tomber ; en outre, elle se salit les genoux, les mains, les cheveux qui touchent le sol. Sa situation est donc objectivement dégradante.
Quant au Japonais, dans la version masculine, il est toujours là pour faire sa photo, mais placé presque en face du visage souriant du garçon au sol (rapport frontal), ne photographiant donc qu'une scène anodine, sans chercher aucun " dessous ".
Dans la version féminine, le motard aux jumelles venait conforter la thèse des dessous, pour nous faire comprendre que l'important était bien la petite culotte de la-demoiselle-tombée-par-terre. Détail qui tue dans la version masculine : un mât publicitaire (attention ! symbole phallique) sur lequel se trouve la première affiche ! On a donc une version floue, à l'arrière-plan, de la première saynette. Si la seconde affiche est moins choquante, son caractère n'en est pas moins sexiste.

analyse de Cédric Schönwald
complétée par Gabrielle Schütz
janvier 2001