Eram (chaussures, affiches, 5 sept. 01))

Slogan : « Aucun corps de femme n'a pas été exploité dans cette pub »
Trois visuels. 1. un homme nu, assis sur le sol, avec aux pieds des chaussures de femme à très hauts talons
2. une chaise dont deux des pieds sont enfoncés dans une chaussure de femme
3. une autruche chaussée de bottillons de femme

Pour protester auprès du PDG, M. Biotteau
Chaussures Eram
St-Pierre Montlimart Cedex 49111
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Luc BIOTTEAU : responsable de la communication et de la publicité
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Réactions

Emmanuel Grenier, Paris, 8 sept. 01
La pub n'est pas sexiste en elle-même. Je me demande toutefois si elle n'est pas une réponse en clin d'œil aux critiques de la Meute. Mais ce clin d'oeil peut aboutir à affaiblir notre message en le ridiculisant. C'est dans ce sens qu'on pourrait qualifier cette pub de sexiste. J'utilise le conditionnel parce que je suis pas sûr de moi. Mais cette pub m'a fait un effet bizarre et ne m'a guère réjoui. C'est le paradoxe de la pub, bien décrit par de nombreux auteurs : la pub peut tout détourner, y compris les attaques de ses ennemis. Reste l'utilisation du corps nu de l'homme avec comme gros sous-entendu "là, c'est un mec qui est à poil, alors nous faites pas ch..."

Carole Kéruzoré, Paris, 11 sept. 01
Je trouve que les affiches Eram tournent facilement et "bêtement" en dérision une revendication légitime. Mais je soupçonne ces publicitaires d'un calcul médiatique.
Il est évident qu'avec une telle phrase, ces affiches sortent de l'ordinaire et interpellent le chaland et les médias. Cependant la pauvreté de l'image et sa platitude me donnent à penser que cette campagne sera un flop qui justifiera aisément le retour aux images sexistes.
Ils veulent faire passer cette pauvreté plastique pour de la sobriété artistique en citant le nom des créateurs et en utilisant des photos qui se rapprochent des oeuvres de Y. Arthus-Bertrand.
Peut-être suis-je un peu trop méfiante, mais je n'arrive pas à croire à la sincérité des auteurs de ce message.

Linda Bouayad-Amine, Paris, lettre à la direction d'Eram, 11 sept. 01:
Bravo de ne pas exploiter de corps de femme dans cette pub pour vos chaussures (vos publicitaires ont peut-être compris que les femmes en ont assez !). Cependant, montrer une autruche à la place, avec ce texte "auncun corps de femme n'a été exploité dans cette publicité"...ça ne me fait pas rire, ni sourire...même au 36eme degré ! Je n'ai pas l'humour requis pour rire de ce genre d'atteinte à la dignité de la femme...et je suis loin d'être la seule, je vous rassure !
Pensez-vous vraiment recruter plus de femmes avec cette pub ? ou vendre plus de chaussures aux femmes ?
Merci de faire suivre ce mail à l'ensemble de votre service marketing, à votre direction, ainsi qu'à votre publicitaire...je pense qu'il serait bien qu'ils soient informés de l'effet de cette pub sur des dizaines et des dizaines de femmes...QUI NE VEULENT PLUS DE PUB SEXISTE !!!!

Linda Bouayad-Amine, Paris, nouvelle lettre à la direction d'Eram, 14 sept. 01
"Monsieur,
Votre publicité actuelle (affiches) pour les chaussures Eram me fait prendre la plume, pour vous exprimer ce que beaucoup de femmes et quelques hommes autour de moi pensent. En effet, je vous rassure, je suis très loin d'être la seule à être interpellée... très négativement.
Et pourquoi donc ? Eh bien voilà : Le message "aucun corps de femme n'a été exploité pour cette pub" nous fait penser que, enfin, les publicitaires ont compris que les femmes ne veulent plus de publicité sexiste et ne veulent plus, effectivement, que leur corps soit utilisé comme une marchandise. On se dit : Bravo ! Mais cette cause, qui devrait être une cause noble _ puisqu'il s'agit bien là de la dignité des femmes, est tournée en dérision...et comme bafouée ! Et là, c'est encore pire que de voir, pour la nieme fois, le corps d'une femme exploité pour vendre des chaussures. En effet, que voit-on à la place ? Une autruche ! Si votre argument est l'humour, alors je n'ai pas et je ne veux pas avoir l'humour requis (même au 36eme degré ! ) pour rire ou sourire de quelque chose qui porte atteinte à ma dignité de femme.
Si votre argument est de dire qu'à la place d'une femme, pour une fois, on a mis un homme : je vous rassure, mon objectif n'est pas d'humilier les hommes à leur tour ou de lancer une guerre des sexes ! Donc je ne me réjouis pas plus de voir un corps d'homme exploité pour vendre des chaussures. Et, surtout, le clin d'oeil " vous voyez, dans cette pub, c'est un corps d'homme qui est exploité ...alors cessez de vous plaindre ", je le trouve aussi encore pire que si, pour la nieme fois, un corps de femme avait été exploité.
Je souhaite une réponse de votre part, que je m'empresserai de montrer à mes amies et amis pour les rassurer (enfin, j'ose espérer...), et aussi pour pouvoir envisager de rentrer à nouveau dans l'une de vos boutiques (Eram et toutes les autres marques du groupe).
Cordialement,"

Clara Domingues, Saint-Gratien, 15 septembre 2001
"Aucun corps de femme n'a été exploité dans cette publicité" dit le slogan.
Ce n'est pas si sûr, du moins notre image n'a pas été épargnée et cela de manière aussi pernicieuse que si un corps de femme y avait réellement été exploité.
C'est le slogan lui-même qui incite l'esprit à voir dans l'autruche, la chaise et l'homme nu une représentation de la femme. Sans le slogan, l'autruche resterait une autruche. Avec le slogan, cette publicité nous donne à voir une autruche, mais une autruche qui est à la place d'une femme, qui lui prend donc sa place et qui par conséquent lui équivaut. Or quelles sont les expressions liées à l'autruche : _ "avoir un estomac d'autruche", c'est-à-dire "digérer n'importe quoi sans difficulté". De ce sens on peut facilement passer à "avaler n'importe quoi sans difficulté". La naïveté des femmes est bien connue, n'est-ce pas ? _ "pratiquer la politique de l'autruche". C'est le retour de l'éternel aveuglement féminin ! Quant à la chaise, c'est l'une de ces chaises que l'on trouvait (peut-être encore) dans les collèges, inconfortables et bruyantes.
L'homme est nu parce qu'évidemment, puisqu'il est à la place d'une femme, il ne pouvait pas être dans une autre tenue.
Si aucun corps de femme n'a été exploité dans cette publicité, notre image en prend tout de même un sérieux coup.
De plus ces publicités sont laides (voir la chaise, l'autruche et l'homme qui sont loin d'avoir été pris sous leur meilleur jour) et tristes (le fond est tout gris). Le message sous-entendu pourrait donc être celui-ci : "La cause féministe ne nous permet plus que de vous offrir un monde triste et déprimant. Si vous en êtes, voyez le résultat ! Si vous n'en êtes pas, réfléchissez-y à deux fois avant de les rejoindre." Après les femmes dans leur ensemble, ce sont les féministes qui en prennent pour leur grade.
Cette publicité me semble donc être violemment sexiste et anti-féministe, quoi qu'en dise le slogan.

Fabienne Cazalis, Paris, 18 sept.-01
A ma connaissance, ce ne sont pas les corps qu'on exploite, mais les individus. Ainsi, croyant réfuter avec humour les critiques féministes, le publicitaire montre le fond de sa pensée. Ces femmes affichées sur nos murs, ce ne sont pas des individus, uniquement des corps, que l'on peut exploiter...

Laurence Pelletier, Prunay (51) 24 sept. 01
Au premier abord, on aurait pu croire, naïvement, qu'enfin des publicitaires faisaient acte de repentir au vu du lénifiant slogan "aucun corps de femme n'a été exploité dans cette publicité". Que nenni ! C'était sans compter sur l'humour dévastateur de nos joyeux plaisantins. En effet, quel subtil substitut trouve-t-on en lieu et place du corps honni ? Un homme nu, une autruche et une chaise, bien sûr !!! Chaussés de souliers féminins. Ostensiblement ridicules, donc.
Mais la subtilité ne s'arrête pas là ! Comme il y va un peu fort, le rusé mais néanmoins précautionneux publicitaire peut craindre que la guerre des sexes ouverte et le ridicule n'entachent le produit présenté et ne froisse la susceptibilité de son client. Il ne faut pas oublier de vendre non plus ! Aussi il la lui joue "chicos" avec un sous-titre comportant le prix et le nom du styliste.
Abordons maintenant le message sous-jacent : quelle pseudo-vérité tente de nous délivrer notre brave publicitaire ? Serait-ce... que respecter le principe revendiqué par les féministes de ne pas utiliser un corps féminin pour présenter un objet conçu pour le "dit" corps accule la profession à recourir à des solutions grotesques ? Autrement dit... Voyez où nous conduit le féminisme avec ses idées... ridicules.
Quant à moi, je doute de l'efficacité d'une telle publicité :
1. En règle générale, les beaufs (à qui s'adresse cette publicité) ne s'achètent pas de chaussures de femme, même si la pub les fait grassement rigoler.
2. Les clients potentiels sont donc des femmes et je crains qu'elles n'aient pas envie d'enrichir un distributeur qui se fout ouvertement d'elles (pour parler poliment).
Cette campagne m'a donné néanmoins envie de rêver. Rêver qu'une agence publicitaire pratiquerait l'autodérision, produisant un visuel d'auto-caricature avec le slogan " Existe-t-il encore au XXIème siècle des publicitaires réactionnaires, sexistes et antiféministes ? oui ! nous ! (avec la photo signée de l'équipe de l'agence Machin) ".
Ce serait irrésistible de drôlerie, non ?

Clara Domingues, 23 déc. 01
Sexisme, misogynie et antiféminisme étant les ressorts inépuisables de l'effet comique, les créatifs publicitaires d'Eram nous proposent un sensationnel triptyque : un homme nu, assis sur le sol, avec aux pieds des chaussures de femme à très hauts talons ; une chaise dont deux des pieds sont enfoncés dans des chaussures de femme ; une autruche chaussée de bottillons de femme. "Aucun corps de femme n'a été exploité dans cette publicité", nous fait remarquer le slogan. Pourquoi prendre la peine de de le proclamer, si ce n'est pour inciter chacun-e à penser à un corps de femme en voyant cette autruche, célèbre pour sa naïveté (son estomac avale n'importe quoi) et son aveuglement ("la politique de l'autruche"), cette chaise laide et inconfortable, et cet homme nu ? Quelle imagination ! Quel sens du détournement et de la dérision ! Ces affiches nous illuminèrent de leur humour et de leur intelligence avant de disparaître. Mais survint un incroyable rebondissement…
Décembre 2001, le jury du Grand Prix de l'Affiche récompense Eram, pour l'homme nu à chaussures de femme. L'affiche orne à nouveau les murs du métro parisien, et nous voilà reparti-es pour la bonne humeur et la gaieté !
Eram a sans nul doute cherché à porter un regard moqueur sur la question du sexisme et de l'exploitation des femmes dans la publicité, bref à faire de l'humour. Avec des affiches si laides, il veut faire oeuvre de futurologue : voici le monde que nous préparent les féministes.
Pourquoi tant de haine ? La cause des femmes serait-elle négligeable et ridicule ? Et de quel point de vue ? Quantitativement ? Certainement pas : 30 000 000 de femmes en France, c'est bien plus que pour toutes les minorités dont le combat, lui, est soutenu médiatiquement et politiquement. Qualitativement alors ? Les revendications des femmes ont en effet toujours entraîné la haine.
Autrefois, on brûlait, enfermait, guillotinait celles qui osaient parler trop fort ; aujourd'hui, l'insulte, la dénégation et le mépris, mises à mort symbolique, restent des armes employées contre nous, féministes. Tenter d’affaiblir et de ridiculiser une revendication légitime et un combat vital fait de vous des collaborateurs du système viriarcal qui, chaque jour, tue, symboliquement ou réellement, petit à petit, la moitié de la population. Avec son prétendu humour, la publicité diffuse en effet chaque jour et à dose massive (on estime en effet que la publicité matraque quotidiennement chaque Occidental-e de plus de 2 500 de ses productions) des clichés sexistes et misogynes, et les cautionne ainsi. Tant que la publicité continuera cette propagande anti-féministe, en modelant l'inconscient collectif et en érigeant en norme le sexisme et le modèle viriarcal, elle contribuera à minimiser et à banaliser les violences physiques ou psychologiques faites aux femmes. Car c'est bien à ce genre de violences que la publicité incite en nous offrant à longueur de journée des femmes prêtes à la consommation. Par l'image de ces femmes-prêtes-à-être-consommées, la publicité non seulement déclare aux hommes que toutes les femmes, quoiqu'elles en disent, sont en attente d'humiliations et de vexations pour mieux jouir des plaisirs de la vie, mais elle affirme aussi aux femmes que séduire - des hommes de préférence - constitue leur seule façon de conquérir leur place dans la société, place pour laquelle la soumission à la volonté et à la force masculines et le don intégral de soi représentent une contrepartie bien agréable, somme toute, à payer. Manipulant donc aussi bien les femmes que les hommes, la publicité déresponsabilise ces derniers de leurs comportements sexistes et donc violents et s'efforce de faire croire aux femmes que ces comportements sont normaux. Résultat : aucune femme n'échappe aux violences sexistes et aux agressions sexuelles, qu'elles soient verbales ou physiques.
Le rapport remis en juillet 2001 à la secrétaire d’Etat aux Droits des Femmes qui enjoignait aux publicitaires de cesser toute utilisation dégradante de l'image des femmes, n'a visiblement pas eu beaucoup d'effet sur ces derniers. Combien de millions de femmes devront encore en subir les conséquences ? Combien de millions de femmes devront encore subir des insultes sexistes et des agressions sexuelles ? Combien de millions de femmes devront encore subir des violences machistes et en mourir ? Combien de temps encore devrons-nous encore attendre la loi anti-sexiste qui figure dans le programme de la gauche élue en… 1981 ?

Claudine Legardinier, Paris, 28 janv.-02
lettre au COURRIER DES LECTEURS de LA VIE, au sujet d’un article sur les publicitaires
Quelle mouche vous pique ? Brosser à ce point les publicitaires dans le sens du poil ! Une tribune entière ouverte aux manipulateurs -et à eux seuls-, un discours lisse pris pour argent comptant, sans une once de recul ni d'esprit critique. L'impasse totale sur les travaux menés sur l'image des femmes dans la publicité, notamment l'enquête rendue en juillet 2001 pour le secrétariat d'Etat aux droits des femmes et dont les conclusions sont accablantes : clichés sexistes, esthétisation de la violence, etc... Non, la pub Eram n'est pas innocente, non, elle n'est pas un fleuron de l'humour. Elle illustre l'infinie capacité de récupération des publicitaires à l'égard de toute pensée opposante, et clame le mépris qu'ils ont pour les femmes qui refusent d'être réduites au rang de gadgets sexuels à l'usage des marchands.

Cécile Sarafis, Paris, 23 mars 2002
Monsieur,
Je tenais à vous faire part de mes impressions concernant votre campagne publicitaire contre-productive à mon sens car depuis je boycotte vos boutiques. Une chance d’être en France : la liberté d’expression (pour vous) mais aussi la liberté de choisir (pour moi).
Je ne pense pas être la première à vous signifier mon avis concernant cette affiche représentant un homme nu chaussé de chaussures de femmes dont le slogan ne fait pas de doute. Cela s’appelle du sexisme, de l’anti-féminisme, en résumé : de l’anti-femmes. J’aurais pourtant pensé que les femmes étaient vos clientes potentielles, mais je dois me tromper.
De plus, si vous pensez que les femmes qui se battent contre toutes les discriminations (sexistes, raciales, sociales) et toutes les violences qui leur sont faites seraient satisfaites de voir vos femmes-objets remplacées par vos hommes-objets, vous vous trompez sur toute la ligne. Ces femmes ne sont pas anti-mec : elles sont pour le respect de l’humanité et il s’avère que la partie de l’humanité la moins respectée, ce sont les femmes. C’est comme si on disait que lutter contre le racisme, ce serait détester les « blancs ». Quelle stupidité !
Vous manifestez là une tendance à prendre vos clients et vos clientes pour des imbéciles, ce qui montre l’idée que vous vous faites de l’individu dans sa globalité, sans distinction de genre. A moins que ce ne soit pour ne racoler dans vos magasins que des hommes sexistes et anti-femmes. Pourquoi pas ? Il y a effectivement du monde dans cette catégorie là.
Cette affiche aura eu au moins cet intérêt : on sait où on en est. C’est encore pire que ce qu’on pensait…
A force de considérer les femmes pour des sous-individus, des objets, des prêtes à consommer, il n’y a pas lieu de s’étonner de la violence ambiante. Il est difficile pour une femme de vivre une vie entière sans jamais avoir été victime d’insulte, de discrimination, de violences conjugales, d’agression sexuelle ou de viol.
Mais peut-être n’avez vous jamais réalisé que vous participiez, de près ou de loin, à toutes ces violences. Je vous invite à prendre la peine de vous informer à ce sujet (cf enquête nationale ENVEFF).
Dans l’espoir que vous aurez compris le sens de ma lettre, veuillez agréer, Monsieur, mes salutations.